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24 décembre 2005

Déficit : des milliards pour acheter la paix sociale

MARC DURIN-VALOIS

[Le Figaro- 23/12/ 2005]

L'endettement colossal de la France se mesure en milliers de milliards d'euros. Mais à qui a profité la manne ? Réponse : à toute une génération. La fête étant finie, ce sont ses enfants qui doivent se préparer à l'austérité.

Jean de La Fontaine n'avait pas imaginé un scénario aussi vertigineux pour sa cigale. Un endettement abyssal de 1 100 milliards d'euros, chiffre qui résume la gravité de l'état financier de la maison France. Quant aux engagements latents envers les fonctionnaires, ils font monter la note à 2 000 milliards. A ce stade, pour ne pas perdre son sens commun financier, mieux vaut se poser les questions de base d'un foyer surendetté.

Où est passé l'argent et qui en a profité ? On sait que la situation est différente selon que le chef de famille a mal géré les dépenses quotidiennes, ou au contraire a surinvesti en actions ou en immobilier par exemple. Il y a ainsi de bonnes et de mauvaises dettes. Dans le cas de la France malheureusement, le diagnostic est vite fait : non seulement la gestion en «père de famille» de nos finances publiques a creusé un déficit cumulé gigantesque, mais de surcroît, cette manne a disparu, pour sa très grande partie, en... fumée !

Plutôt que d'investir dans les pôles de croissance futurs, la recherche et le développement par exemple, les différents gouvernements ont bien souvent utilisé le crédit pour les dépenses courantes, qui n'ont jamais cessé de croître (+ 2,8% par an). Et au final, ce sont les bijoux de famille qui se retrouvent gagés : selon le récent rapport Pébereau remis au ministre de l'Economie, le patrimoine net des administrations publiques n'a cessé de s'évaporer, passant de 807 à 289 milliards d'euros entre 1980 et 2002 (soit une baisse de 64%). Pendant ce temps, la dette augmentait de manière exponentielle, passant, en vingt-cinq ans, de 20% à 66% de notre produit intérieur brut (c'est-à-dire les deux tiers de notre revenu annuel). Soit 6 points au-dessus des critères de Maastricht, plaçant la France parmi les cancres de la classe européenne !

Un encombrant héritage

Dès lors, qui a profité du système ? La réponse, c'est tout le monde ! Ou plus exactement toute une génération. «Les baby-boomers, en refusant de faire des sacrifices, ont hypothéqué sans état d'âme le devenir des générations futures. C'est exactement comme dans une famille où des parents prodigues auraient dépensé sans compter pour leur confort, leurs loisirs et leur chaîne hi-fi en refilant les dettes... aux héritiers !», remarque ce haut fonctionnaire du budget. La qualité de vie, l'abaissement du temps de travail à 35 heures, le traitement optimisé du chômage ont été ainsi financés par des emprunts, qui devront être payés rubis sur l'ongle dans l'avenir. De quoi alimenter les inquiétudes de nos trentenaires, qui craignent déjà de passer deux fois à la caisse : pour eux, et pour ces parents prodigues ayant fait bombance. «Mais la dette nous a permis aussi d'échapper à la récession et à la paupérisation des services publics», rappelle de son côté l'économiste Jean-Paul Fitoussi. Histoire de ne pas tout voir en noir.

Gagnants inattendus : les marchés financiers

On oublie trop souvent que face à un emprunteur débridé existe toujours un créditeur. Les marchés financiers ont bénéficié de la manne. «C'est comme un banquier qui, misant sur les agios, aurait toujours plus prêté, chaque année, sans demander de remboursement de capital», dit le sénateur Alain Lambert, ancien ministre du Budget et membre de la commission Pébereau. Et la situation fait froid dans le dos : le remboursement de cette dette constitue aujourd'hui le deuxième poste de dépense de notre budget (entre 40 et 45 milliards d'euros), juste après l'Education nationale ! Encore ne s'agit-il que du remboursement des intérêts. Pour le remboursement du capital, il faut à nouveau emprunter !

Cette dette colossale intéresse les étrangers en quête de créances à risque limité. En octobre dernier, les bons du Trésor et autres obligations de l'Etat étaient détenus par plus de 55,2% de résidents hors de France. La répartition par zones géographiques n'est pas publique, mais on sait que les fonds de pension (européens et américains) financent lourdement nos déficits. Selon quelques indiscrétions, un nouvel intervenant se profilerait depuis peu en force. «La Banque centrale de Chine, souligne ce spécialiste, place ses excédents commerciaux dans les déficits des pays riches, notamment celui de l'Etat français.» Ce qui au passage en dit long sur les nouveaux rapports de force qui s'établissent avec ce pays, devenu l'un des créditeurs de l'Occident.

Difficile pour autant de se plaindre de l'engouement des résidents étrangers. «Dans le cas où il y aurait une baisse de confiance, la hausse d'un seul point des intérêts nous coûterait 10 milliards d'euros», rappelle Alain Lambert. A ce prix-là, on irait vendre la dette française au bout du monde, comme un vulgaire Airbus ! En attendant, Standard & Poors a rétrogradé la France dans sa liste des bons emprunteurs, faute de savoir gérer ses déficits. Frissons garantis dans l'avenir.

Fonctionnaires responsables mais pas coupables

La population ayant, à l'évidence, bénéficié du système, reste la responsabilité des agents de l'Etat et assimilés. Non seulement en termes de rémunérations, d'avantages, de retraites, mais aussi de recrutements. Si le chiffre de 300 000 embauches supplémentaires sur vingt-cinq ans est cité pour l'Etat, il ne tient pas compte des recrutements dans l'administration territoriale (455 000), et celle des hôpitaux (200 000), qui portent le total à 955 000.

Pour autant, les économistes s'accordent à reconnaître que la croissance de cette population - source des coûts budgétaires mais en aucun cas coupable - est d'abord la résultante d'un consensus social. «Il suffit d'observer, dans les hôpitaux, les services de sécurité, l'économie, le dévouement des fonctionnaires pour constater que le problème ne relève pas de l'état d'esprit de cette collectivité», rappelle l'économiste Jean-Paul Fitoussi. Raisonnement similaire du chef économiste du Crédit agricole, qui en tire une autre conséquence : «Réduire cette population de manière comptable aboutirait à une absurdité, dit Jean-Paul Betbeze. Il faut revoir toute l'organisation avec les administrés dans une logique de guichets uniques qui induira automatiquement des économies de personnel et des réaffectations productives.»

Idéologie de la dépense

«Ce qui est frappant, note ce haut fonctionnaire du budget, c'est que l'idéologie de la dépense publique est devenue l'opium du peuple !» Le simple bon sens qui voudrait qu'au départ de chaque ministre on fasse connaître le bilan financier de son ministère comparé à celui du moment de son arrivée n'existe pas. Témoin de cette irresponsabilité, le système des «cagnottes» (ces trop-pleins de recettes fiscales) aussitôt restituées plutôt que d'être consacrées à la diminution de la dette. Sans oublier le saupoudrage à motivation électorale, autre mal français. La prime pour l'emploi distribuée à 9 millions de foyers pour quelque 23 euros par tête de pipe est emblématique : résultat médiocre garanti pour un coût exorbitant !

Les administrations se sont, de leur côté, habituées à vivre à crédit. «Le niveau des dépenses publiques en France est désormais le plus élevé de la zone euro», note le rapport de Michel Pébereau. Le pire est le côté récurrent de la dépense. «Chaque dette finance des dépenses qui deviennent structurelles», note Alain Lambert.

Qui est responsable ? Les socialistes soutiennent que les déficits ont dérivé sous les gouvernements de droite. Celle-ci rétorque que les dépenses publiques sous les gouvernements de gauche ont dérivé de 8% contre une moyenne de 7,2% sur vingt-cinq ans. «Et les dépenses de la gauche se poursuivent des années durant, note Alain Lambert. Par ailleurs, les socialistes au pouvoir ont bénéficié d'embellies conjoncturelles masquant la progression des dépenses.»

«la dette sert à gagner du temps»

Tout d'ailleurs n'est pas noir dans ces engagements depuis vingt-cinq ans. «Des infrastructures de transports remarquables ont été créées, rappelle Jean-Paul Betbeze, notre système de formation n'a pas à rougir de ses résultats, le système de santé a été préservé. Mais la dette sert à éviter les réformes trop sévères, à gagner du temps. Or, nous n'avons plus le temps !» Diagnostic moins sévère de Jean-Paul Fitoussi : «Le niveau d'endettement n'est pas insoutenable. Et nous sauvegardons grâce à lui, et malgré un chômage de masse, la paix sociale», souligne-t-il.

Argument que balaye Alain Lambert avec un sourire : «Cela ne viendrait à l'idée de personne d'acheter la paix avec ses voisins en utilisant le carnet de chèques de ses enfants !»

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